Rapport d'atelier coparainé par l'IPBES et le GIEC sur la biodiversité et le changement climatique : Différence entre versions

De Citoyens pour le climat
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{{Titre|Atelier coparrainé par l'[https://fr.wikipedia.org/wiki/IPBES IPBES] et le [https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d%27experts_intergouvernemental_sur_l%27%C3%A9volution_du_climat GIEC]<br /><br />Biodiversité et changement climatique<br /><br />{{t|Rapport d'atelier|160}}<br /><br />[https://ipbes.net/sites/default/files/2021-06/20210609_workshop_report_embargo_3pm_CEST_10_june_0.pdf publié en anglais] le 10 juin 2021<br />{{sc|Traduction citoyenne non officielle}}}}Souvent décrite comme le « GIEC pour la biodiversité », la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est un organisme intergouvernemental indépendant qui compte plus de 130 gouvernements membres. Créé par les Gouvernements en 2012, l’IPBES fournit aux décideurs politiques des évaluations scientifiques objectives sur l'état des connaissances concernant la biodiversité de la planète, les écosystèmes et les contributions qu'ils apportent aux populations, ainsi que les outils et méthodes pour protéger et utiliser durablement ces actifs naturels vitaux.
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{{Titre|Biodiversité et changement climatique|Atelier coparrainé par l'[https://fr.wikipedia.org/wiki/IPBES IPBES] et le [https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d%27experts_intergouvernemental_sur_l%27%C3%A9volution_du_climat GIEC]|{{t|Rapport d'atelier|160}}<br /><br />[https://ipbes.net/sites/default/files/2021-06/20210609_workshop_report_embargo_3pm_CEST_10_june_0.pdf publié en anglais] le 10 juin 2021<br />{{sc|Traduction citoyenne non officielle}}}}
  
L'IPBES a un partenariat collaboratif avec l'UNEP, l'UNESCO, la FAO et le PNUD. Son siège est hébergé par le gouvernement allemand sur le campus de l'ONU à Bonn. Des scientifiques du monde entier contribuent au travail de l'IPBES sur la base du volontariat. Ils sont nommés par leur gouvernement ou une organisation et sélectionnés par le panel pluridisciplinaire d'experts (MEP) de l'IPBES. La revue par les pairs forme un composant clé du travail de l'IPBES pour s'assurer qu'il reflète un large éventail de point de vue et que ce travail atteind les plus hauts standards scientifiques.{{Boîte déroulante/début|titre=Auteurs}}
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=== '''Avertissement''' ===
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Le coparrainage du GIEC ne signifie pas que celui-ci certifie ou approuve ce compte-rendu et les recommandations et conclusions qu’il contient. Les documents présentés à l’Atelier/Réunion d’Experts et le compte-rendu de ces travaux n’ont pas été soumis à l’examen du GIEC.
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Le coparrainage de l’IPBES ne signifie pas que celui-ci certifie ou approuve ce compte-rendu et les recommandations et conclusions qu’il contient. Les documents présentés à l’atelier et le compte-rendu de ces travaux n’ont pas été soumis à l’examen de l’IPBES.{{Boîte déroulante/début|titre=Liste des participants}}
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Participant à l'ouverture :
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* Rt Hon Lord Zac Goldsmith, Ministre d'État du Pacifique et de l'Environment au Département de l'Environment, l'alimentation et les affaires rurales et de l'étranger, Bureau du Commonwealth et du Dévelopment, Royaume-Uni
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* Maren Holsen, Secrétaire d'État, Ministre du Climat et de l'Environnement, Norvège
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* Ana María Hernández Salgar, Chair of IPBES
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* Hoesung Lee, Chair of IPCC
  
;22 Experts :
 
 
* Peter Daszak (Etats-Unis)
 
* Peter Daszak (Etats-Unis)
 
* John Amuasi (Ghana)
 
* John Amuasi (Ghana)
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* Isabel Sousa Pinto (Portugal), MEP
 
* Isabel Sousa Pinto (Portugal), MEP
 
* Katalin Török (Hongrie), MEP{{Boîte déroulante/fin}}
 
* Katalin Török (Hongrie), MEP{{Boîte déroulante/fin}}
==Introduction==
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==Préface==
Le rapport de l'atelier IPBES (disponible [https://ipbes.net/pandemics ici] en anglais seulement) constitue une des évaluations les plus solides sur le plan scientifique des preuves et des connaissances concernant les liens entre le risque de pandémie et la nature depuis le début de la pandémie de COVID, grâce à des contributions d'experts de premier plan dans des domaines aussi divers que l'épidémiologie, la zoologie, la santé publique, l'écologie des maladies, la pathologie comparative, la médecine vétérinaire, la pharmacologie, la santé de la faune sauvage, la modélisation mathématique, l'économie, le droit et les politiques publiques.
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Le changement climatique et la perte de biodiversité sont deux des problèmes les plus urgents de l'Anthropocène. Bien qu'il soit reconnu dans les cercles scientifiques et politiques que les deux sont interconnectés, dans la pratique, ils sont largement abordés dans leurs propres domaines. La communauté de recherche dédiée à l'étude du système climatique est quelque peu, mais pas complètement, distincte de celle qui étudie la biodiversité. Chaque problématique a sa propre convention internationale (la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques et la Convention sur la Diversité Biologique), et chacune a un organe intergouvernemental qui évalue les connaissances disponibles (le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) et la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES)). Cette séparation fonctionnelle crée un risque d'identifier, de comprendre et de gérer de manière incomplète les liens entre les deux. Dans le pire des cas, cela peut conduire à prendre des mesures qui empêchent malencontreusement la résolution de l'un et/ou de l'autre de ces deux problèmes. C'est dans la nature des systèmes complexes d’avoir des résultats et des effets de seuil inattendus, mais aussi que les parties individuelles ne puissent pas être gérées indépendamment les unes des autres. L'atelier conjoint IPBES-GIEC s'est attaché à explorer ces liens complexes et multiples entre le climat et la biodiversité. Cet atelier et son rapport représentent la toute première collaboration conjointe entre ces deux organes intergouvernementaux et font donc date dans leurs histoires respectives.
 
 
Le rapport est également fortement étayé scientifiquement, avec près de 700 sources citées (dont plus de 200 datant des années 2019 et 20220), ce qui offre aux décideurs un précieux aperçu analytique des données les plus récentes actuellement disponibles.
 
 
 
===Avertissement===
 
Le bureau et le panel pluridisciplinaire d’experts (MEP) de l'IPBES ont autorisé un atelier sur la biodiversité et les pandémies qui s'est tenu virtuellement du 27 au 31 juillet 2020 selon les dispositions des "ateliers virtuels", précisées à la section 6.1 des procédures de préparation des livrables (IPBES-3/3, annexe I), en support des activités approuvées en séance plénières. Le rapport d'atelier, ses recommandations et ses conclusions n'ont pas été examinés, approuvés ou entérinés par les États membres de l'IPBES : il représente l'expertise et les perspectives des experts qui ont participé à l'atelier (cf. la liste ci-dessus). Le rapport est considéré comme une source d'information disponible pour les auteurs préparant les rapports d'évaluations IPBES en cours ou futurs. Bien qu'ayant suivi le processus scientifique de revue par les pairs, ce rapport n'a pas fait l'objet du processus de révision officiel de l'IPBES.
 
 
 
==Préambule==
 
Le bureau et le panel pluridisciplinaire d’experts de l’IPBES, dans le contexte de la situation extraordinaire causée par la pandémie de la COVID-19 et considérant le rôle que l’IPBES peut jouer dans le renforcement de la base des connaissances sur la biodiversité, ont décidé que l’IPBES organiserait un atelier virtuel sur la biodiversité et les pandémies, selon les procédures de préparation des livrables de l’IPBES, en particulier la décision IPBES-3/3, annexe I, section 6.1 sur l’organisation des ateliers virtuels.
 
 
 
Cet atelier donne l’opportunité de revoir les preuves scientifiques sur l'origine, l’émergence et l’impact de la COVID-19 et des autres pandémies, aussi bien que sur les options pour contrôler et prévenir les pandémies, dans le but de produire des informations dans l’immédiat mais aussi d’améliorer les informations que l’IPBES peut fournir à ses utilisateurs et parties prenantes dans leurs évaluations en cours et futures.
 
 
 
L’atelier a rassemblé 22 experts de toutes les régions du monde pour débattre :
 
 
 
#de la manière dont les pandémies émergent de la diversité microbienne naturelle ;
 
#du rôle des changements d’usage des sols et du changement climatique comme facteurs des pandémies ;
 
#du rôle du commerce d’espèces sauvages comme facteur des pandémies ;
 
#des enseignements à tirer de la nature pour mieux contrôler les pandémies ; et
 
#de la prévention des pandémies basée sur l’approche « Une seule santé ».
 
 
 
Les participants de l’atelier sélectionnés par le panel pluridisciplinaire d’experts de l’IPBES incluent 17 experts nommés par des gouvernements et des organisations à la suite d'un appel à nominations et 5 experts des évaluations de l'IPBES en cours sur l’utilisation durable des espèces sauvages, sur les valeurs de la biodiversité et sur les espèces exotiques envahissantes, ainsi que des experts contribuant aux projets de cadrage des futures évaluations IPBES sur les liens d’interdépendance et sur les changements transformateurs. De plus, des personnes ressources du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC), du secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), du secrétariat de la Convention sur le Commerce International des Espèces de faune et de flore sauvages Menacées d'extinction (CITES), de la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification (CNULD) et de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont assisté à l’atelier.
 
 
 
Ce rapport a été préparé par tous les participants de l’atelier et a été soumis à plusieurs tours de relecture et de révision en interne et à un processus externe de revue par les pairs. Le support technique pour l’atelier a été fourni par le secrétariat de l’IPBES.
 
 
 
L’IPBES remercie le gouvernement allemand pour son aide financière dans l’organisation de l’atelier et la production du rapport.
 
 
 
==Résumé exécutif==
 
Les pandémies représentent une menace existentielle envers la santé et le bien-être des peuples à travers notre planète. Les preuves scientifiques revues dans ce rapport démontrent que les pandémies deviennent plus fréquentes, provoquées par un nombre croissant de maladies émergentes sous-jacentes. Sans stratégie préventive, les pandémies vont émerger plus souvent, se répandre plus vite, tuer plus de gens, et affecter l’économie mondiale de façon plus dévastatrice que par le passé. Les stratégies actuelles de lutte contre les pandémies reposent sur une réaction aux maladies après leur apparition, à l’aide de mesures de santé publique et de solutions technologiques, en particulier la conception et distribution rapide de nouveaux vaccins et traitements. Cependant, la COVID-19 démontre que c’est une voie lente et incertaine, et pendant que la population mondiale attend que les vaccins soient disponibles, les coûts humains augmentent, que ce soit en pertes humaines, en maladie endurée, en effondrement économique ou en perte de moyens de subsistance.
 
 
 
Les pandémies tirent leurs origines de divers microbes portés par des populations d’animaux réservoirs, mais leur émergence est entièrement causée par les activités humaines. Les causes sous-jacentes des pandémies sont les mêmes changements environnementaux mondiaux qui mènent à la perte de biodiversité et au changement climatique. Ils incluent le changement d’usage des sols, l'expansion et l’intensification de l’agriculture, le commerce et la consommation d’espèces sauvages. Ces activités mettent en contact plus rapproché les espèces sauvages, le bétail, et les humains, permettant ainsi aux microbes affectant les animaux de transiter vers les humains et de mener à des infections, parfois à des épidémies, et plus rarement à de véritables pandémies qui se répandant au travers des réseaux routiers, des centres urbains et des routes de voyage et de commerce mondial. L’augmentation exponentielle récente de la consommation et des échanges, propulsés par la demande dans les pays développés et les économies émergentes aussi bien que par la pression démographique, a mené à une série de maladies émergentes principalement originaires de pays en développement riches en biodiversité, guidés par des modes de consommation mondialisés.
 
 
 
Les pandémies comme celle de la COVID-19 soulignent autant l’interconnexion de la communauté mondiale que la menace grandissante posée par les inégalités mondiales en termes de santé, de bien-être et de sécurité de tout le monde. La mortalité et la morbidité dues à la COVID-19 peuvent en définitif être plus hautes dans les pays en développement à cause de contraintes économiques affectant l’accès aux soins médicaux. Cependant, les pandémies à grande échelle peuvent aussi considérablement impacter les pays développés qui reposent sur des économies mondialisées, comme le démontre actuellement l’impact de la COVID-19 sur les Etats-Unis d’Amérique et beaucoup de pays d’Europe.
 
 
 
====Les pandémies émergent de la diversité microbienne que l’on trouve dans la nature====
 
 
 
*La majorité (70 %) des maladies émergentes (ex : Ebola, Zika, Encéphalite Nipah) et presque toutes les pandémies connues (ex : grippe, SIDA, COVID-19) sont des zoonoses, c’est-à-dire causées par des microbes d’origine animale. Ces microbes se répandent lors de contacts entre la faune sauvage, le bétail et la population.
 
 
 
*Il est estimé que 1,7 million de virus encore non découverts existent dans des hôtes mammifères et aviaires. Parmi ceux-ci, entre 631 000 et 827 000 pourraient avoir la capacité d’infecter les humains.
 
 
 
*Les réservoirs les plus importants de pathogènes à potentiel pandémique sont les mammifères (en particulier les chauve-souris, les rongeurs, les primates) et quelques oiseaux (en particulier les oiseaux aquatiques) ainsi que le bétail (ex : cochons, chameaux, volaille).
 
 
 
====Le bouleversement écologique dû à l’Homme et la consommation non-durable induisent un risque de pandémie====
 
 
 
*Le risque de pandémie augmente rapidement avec plus de cinq nouvelles maladies apparaissant chez l’humain chaque année, toutes peuvent potentiellement se diffuser et devenir une pandémie. Le risque de pandémie est accru par l’augmentation exponentielle des changements anthropogéniques. Accuser la faune sauvage de l’émergence des maladies est donc erroné, parce que cette apparition est causée par les activités humaines et les impacts de celles-ci sur l’environnement.
 
 
 
*L’exploitation non durable de l’environnement par le changement d’usage des sols, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, le commerce et la consommation d’espèces sauvages et autres activités, bouleverse les interactions naturelles entre les espèces sauvages et leurs microbes, augmente les contacts entre faune sauvage, bétail, êtres humains et leurs pathogènes et a provoqué presque toutes les pandémies.
 
 
 
*Le changement climatique a été impliqué dans l’émergence de maladies (ex : encéphalite à tiques en Scandinavie) et va probablement causer de futurs risques substantiels de pandémie en entraînant des mouvements de population, d’espèces sauvages, de réservoirs et de vecteurs et la propagation de leurs pathogènes. Par voie de conséquence, cela mène à de nouveaux contacts entre les espèces, des contacts plus nombreux entre celles-ci ou perturbe différemment les dynamiques naturelles hôte-pathogène.
 
 
 
*La perte de biodiversité associée à la transformation des paysages peut augmenter le risque de maladie émergente dans certains cas où les espèces qui s’adaptent bien aux milieux dominés par l’Homme sont aussi capables de donner l’asile à des pathogènes qui posent un fort risque de transmission zoonotique.
 
 
 
*Les pathogènes de la faune sauvage, du bétail et des humains peuvent aussi menacer directement la biodiversité et émergent via les mêmes activités qui conduisent au risque de maladie chez l’Homme (ex : la chytridiomycose chez les amphibiens du monde entier à cause du commerce des espèces).
 
 
 
====Réduire les changements environnementaux anthropogéniques mondiaux peut réduire le risque de pandémie====
 
 
 
*Les pandémies et autres zoonoses émergentes causent des souffrances humaines généralisées et probablement plus de mille milliards de dollars en dommages économiques annuels. Elles s’ajoutent aux maladies zoonotiques apparues historiquement et représentent un fardeau continu pour la santé humaine. Les stratégies globales de prévention des pandémies basées sur la réduction du commerce des espèces sauvages et des changements d’usage des sols et l’augmentation de la surveillance « Une seule santé » ont un coût estimé entre 22 et 31,2 milliards de dollars, réduit même à un montant entre 17,7 et 26,9 milliards de dollars si les avantages de la déforestation réduite en termes de séquestration carbone sont pris en compte soit deux ordres de grandeur de moins que les dommages produits par les épidémies.
 
 
 
*L’impact réel de la COVID-19 sur l’économie mondiale pourra être évalué précisément uniquement lorsque des vaccins seront entièrement déployés et que la transmission au sein de la population sera contenue. Cependant, son coût a été estimé entre 8 000 et 16 000 milliards de dollars dans le monde en juillet 2020 et peut être de 16 000 milliards rien qu’aux Etats-Unis au quatrième trimestre 2021 (en considérant que les vaccins seront efficaces pour contrôler l’épidémie à cet horizon).
 
 
 
*Le risque de pandémie pourrait être significativement abaissé en promouvant une consommation responsable et en réduisant la consommation non-durable des produits venant des zones sensibles aux maladies émergentes et des espèces sauvages et leurs produits dérivés ainsi qu’en diminuant la consommation excessive de viande issue de l’élevage.
 
 
 
*La préservation des zones protégées et les mesures qui réduisent l’exploitation non-durable des régions de grande biodiversité réduiront les interfaces de contact espèces sauvages/bétail/humains et aideront à éviter la transmission de nouveaux pathogènes.
 
 
 
====Le changement d’usage des sols, l’expansion agricole et l’urbanisation sont responsables de plus de 30 % des maladies émergentes====
 
 
 
*Le changement d’usage des sols est une cause importante de pandémies, responsable de l’émergence de plus de 30 % des nouvelles maladies signalées depuis 1960.
 
 
 
*Le changement d’usage des sols inclut la déforestation, l’installation humaine dans des habitats jusque-là sauvages, l’augmentation de la production végétale et animale et l’urbanisation.
 
 
 
*Le changement d’usage des sols produit des effets synergiques avec le changement climatique (perte de forêts, îlots de chaleurs, brûlage des forêts pour défricher les terres) et la perte de biodiversité qui mènent à leur tour à d’importantes maladies émergentes.
 
 
 
*La destruction des habitats et l’empiètement des humains et du bétail sur les espaces riches en biodiversité offrent de nouvelles voies aux agents pathogènes pour se propager et augmenter leurs taux de transmission.
 
 
 
*Les questions de santé humaine sont largement ignorées lors des décisions en matière d’aménagement des territoires.
 
 
 
*La restauration écologique, qui est essentielle pour la préservation, l’adaptation au climat et les services écosystémiques, devrait intégrer des considération de santé pour éviter un risque accru de maladie résultant d’un contact espèces sauvages/bétail/humains plus important.
 
 
 
====Le commerce et la consommation d’espèces sauvages constituent un risque mondialement important pour les futures pandémies====
 
 
 
*Le commerce d’espèces sauvages s’est opéré tout au long de l’histoire et fournit alimentation et bien-être aux hommes, particulièrement aux populations indigènes et aux communautés locales dans de nombreux pays.
 
 
 
*Environ 24 % des espèces sauvages de vertébrés terrestres font l’objet d’un commerce mondial. Le marché international légal d’espèces sauvages a plus que quintuplé au cours des 14 dernières années et était estimé à 107 milliards de dollars en 2019. Le marché illégal, lui, est estimé entre 7 et 23 milliards de dollars par an.
 
 
 
*Les modes de consommation d’espèces sauvages varient considérablement d’un pays à l’autre. L’Amérique du Nord, l’Europe et certaines régions d’Asie sont des importateurs nets, l’Union Européenne et les États-Unis d’Amérique sont les principaux consommateurs du marché légal d’animaux sauvages comme animaux de compagnie.
 
 
 
*L’élevage d’animaux sauvages s’est considérablement développé au cours des dernières décennies, le commerce international légal d’espèces sauvages ayant augmenté de 500 % en valeur depuis 2015.
 
 
 
*L’agriculture, le commerce et la consommation d’animaux sauvages et de produits dérivés de la faune sauvage (pour l’alimentation, les médicaments, la fourrure ou d’autres produits) ont entraîné une perte de biodiversité et des maladies émergentes, notamment le SRAS et la COVID-19.
 
 
 
*Le commerce illégal et non réglementé, la consommation non-durable d’espèces sauvages ainsi que le commerce légal et réglementé d’espèces sauvages ont déjà été liés à l’émergence de maladies.
 
 
 
*Le commerce de mammifères et d’oiseaux présente probablement un risque plus important d’émergence de maladies que les autres taxons, car ils sont d’importants réservoirs d’agents pathogènes zoonotiques.
 
 
 
*Les réglementations qui imposent la surveillance des maladies dans le commerce des espèces sauvages ont une portée limitée, réparties dans de nombreuses autorités, mises en vigueur et appliquées de manière incohérente.
 
 
 
====Les stratégies actuelles de préparation aux pandémies visent à contrôler les maladies après leur apparition. Ces stratégies reposent souvent sur la biodiversité, et peuvent l’affecter====
 
 
 
*Notre approche habituelle des pandémies se base sur l’endiguement et le contrôle après l’apparition d’une maladie et repose principalement sur les approches réductionnistes de développement de vaccins et traitements plutôt que sur la réduction des facteurs de risque de pandémie pour prévenir leur apparition.
 
 
 
*Le développement des vaccins et des thérapies repose sur l’accès à la diversité des organismes, molécules et gènes présents dans la nature.
 
 
 
*De nombreuses thérapies sont dérivées de connaissances autochtones et de la médecine traditionnelle.
 
 
 
*L’accès juste, équitable et le partage des bénéfices issus des ressources génétiques, tels que les pathogènes, ont permis un accès plus équitable aux vaccins et médicaments, ainsi qu’une implication accrue au sein de la recherche. Cependant, certains de ces processus d’échange peuvent entraver le transfert rapide d’échantillons microbiens.
 
 
 
*La propriété intellectuelle est une incitation à l’innovation, mais il est également défendu qu’elle pourrait limiter l’accès rapide aux vaccins, traitements et thérapies, ainsi qu’aux outils de diagnostic et de recherche.
 
 
 
*Les programmes de lutte contre les pandémies usent souvent de mesures d’urgence et peuvent avoir des implications négatives importantes pour la biodiversité, comme l’abattage des populations d’animaux réservoirs ou l’utilisation d’insecticides.
 
 
 
*Les mesures de restrictions de voyages introduites pour réduire la propagation de la COVID-19 ont considérablement réduit l’éco-tourisme et d’autres revenus.
 
 
 
*La réduction des impacts environnementaux liée au ralentissement économique pendant la “pause mondiale du COVID-19” (par exemple la réduction de la consommation de pétrole) est probablement temporaire et insignifiante à long terme.
 
 
 
*Les maladies qui émergent de la faune sauvage et se propagent largement chez les humains peuvent alors menacer d’autres pans de la biodiversité que les seuls hôtes d’origine du pathogène.
 
 
 
*Les pandémies ont souvent des impacts inégaux sur différents pays et secteurs de la société (par exemple les personnes âgées et les minorités pour la COVID-19). Les impacts économiques (et les conséquences des maladies) sont souvent plus graves pour les femmes, les personnes en situation de pauvreté et les peuples autochtones. Pour être transformatrices, les politiques de lutte contre les pandémies et les programmes de relance devraient être plus inclusives et porter plus d’attention aux inégalités de genres.
 
  
====Échapper à une « ère des pandémies » requiert des choix politiques encourageant un changement profond vers la prévention des pandémies :====
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La communauté scientifique travaille depuis un certain temps sur les synergies et les compromis entre climat et biodiversité. Une action entreprise pour protéger la biodiversité qui contribue simultanément à l'atténuation du changement climatique ou une action augmentant la capacité des espèces ou des écosystèmes à s'adapter aux changements climatiques qui ne peuvent être évités sont des exemples de synergie. Au contraire, des compromis négatifs peuvent survenir, par exemple, si une mesure prise pour atténuer le changement climatique via l’utilisation de la terre ou de l'océan pour absorber les gaz à effet de serre entraîne une perte de biodiversité ou d'autres avantages liés à la nature procurés par les écosystèmes touchés. Ce n'est qu'en considérant le climat et la biodiversité comme des aspects d'un même problème complexe - qui comprend également les actions, les motivations et les aspirations de gens - que des solutions qui évitent la maladaptation et maximisent les résultats bénéfiques peuvent être développées. La recherche de telles solutions est importante si la société veut protéger les acquis de la croissance et accélérer l'évolution vers un monde plus durable, plus sain et plus équitable pour tous. Le rôle de la science dans la gestion de la pandémie actuelle illustre comment celle-ci peut éclairer les décisions politiques et la société pour identifier des solutions possibles.
La stratégie actuelle de préparation aux pandémies implique de répondre à une pandémie après qu’elle ait émergé. Cependant, les recherches prises en compte dans ce rapport identifient des connaissances substantielles qui fournissent une voie vers la prédiction et la prévention des pandémies. Cela inclut le travail de prévision des origines géographiques des futures pandémies, d’identification des hôtes réservoirs clés et des pathogènes les plus susceptibles d’émerger et de démonstration de la corrélation entre les changements environnementaux et socioéconomiques et l’émergence de maladies. Des projets pilotes, souvent à grande échelle, ont démontré que ces connaissances peuvent être utilisées pour cibler efficacement la découverte de virus, leur surveillance et l’enquête des foyers. L’impact majeur sur la santé publique de la COVID-19, du VIH/SIDA, d’Ebola, de Zika, de la grippe, du SARS et de nombreuses autres maladies émergentes souligne le besoin critique de politiques qui promeuvent la prévention des pandémies, basée sur ce savoir grandissant. Pour réussir, les options politiques suivantes ont été identifiées :
 
  
'''''Mécanismes favorisants :'''''
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En tant que membres du comité scientifique directeur, nous sommes fiers d'avoir contribué à cette toute première collaboration entre le GIEC et l'IPBES. Notre première tâche consistait à sélectionner parmi nos communautés respectives un ensemble varié d’experts de premier plan venant du monde entier, puis de guider leur travail. Il a été difficile de mener à bien ce processus pendant la pandémie de COVID-19, et les échéanciers ont été déplacés et revus à de nombreuses reprises. Ce qui devait être à l'origine un atelier en présentiel accueilli par le Royaume-Uni en mai 2020 avec le co-parrainage de la Norvège s’est finalement tenu en ligne en décembre 2020. Les experts se sont remarquablement bien adaptés à ces changements et ont consacré beaucoup de temps et d'efforts à ce projet pour compenser l'incapacité de se rencontrer en personne, tenant de vigoureuses et stimulantes discussions à distance, que ce soit avant et pendant l'atelier ou pour préparer le rapport et les résultats scientifiques qui en sont issus.
  
*Lancer un haut conseil intergouvernemental sur la prévention de pandémie, qui assurerait la coopération entre gouvernements et travaillerait au croisement des 3 conventions de Rio pour :
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Comme expliqué dans l'avertissement sur la première page de ce document, il s'agit d'un rapport d'atelier et non d'un rapport d’évaluation. Il s'agit néanmoins d'un document scientifique, qui a fait l'objet d'une relecture par 24 experts externes sélectionnés par le comité scientifique directeur de l'atelier, fournissant une représentation objective, une synthèse et une explication de l'ensemble des travaux publiés. Bien qu'il s'agisse d'un rapport d'atelier et, en tant que tel, non exhaustif, le rapport résume l'état émergent des connaissances pour éclairer la prise de décision et aide à montrer la voie vers des solutions pour la société et également pour la recherche scientifique en identifiant les lacunes à combler.
  
#fournir les informations scientifiques politiquement pertinentes sur l’émergence des maladies, prédire les zones à haut risque, évaluer l’impact économique des pandémies potentielles, souligner les lacunes de la recherche ; et
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Nous espérons que ce rapport d'atelier coparrainé, et les résultats scientifiques associés apporteront une contribution importante aux évaluations en cours et futures du GIEC et de l'IPBES, et seront pertinents pour les discussions tenues dans le contexte de la COP 15 de la CDB et de la COP 26 de la CCNUCC, qui se tiendront toutes les deux en principe en 2021. Connecter les sphères du climat et de la biodiversité est particulièrement crucial au moment où le monde semble se préparer à des actions plus fortes sur ces deux sujets. Des actions urgentes, opportunes et ciblées peuvent minimiser les tendances préjudiciables et contrer l'escalade des risques tout en évitant des erreurs coûteuses et contre-productives. L'humanité n'a pas de temps à perdre et nous espérons que ce rapport éclairera ces actions urgentes vers « L'avenir que nous voulons ».
#coordonner la conception d’un cadre de suivi et éventuellement jeter les bases d’un accord sur les objectifs à atteindre par tous les partenaires pour mettre en place l'approche « Une seule santé » (c’est-dire qui lie la santé humaine, la santé animale et l’environnement).
 
  
En définitif, il se peut que les travaux du haut conseil amènent les pays à définir des objectifs convenus mutuellement dans le cadre d’un accord. Un large accord international au niveau gouvernemental sur la prévention des pandémies représenterait un accomplissement remarquable avec des bénéfices clairs pour les humains, les animaux et les écosystèmes.
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== Introduction ==
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La Plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), lors de sa 7ème session tenue en avril/mai 2019, a adopté un nouveau programme de travail jusqu'en 2030 et a convenu de la préparation d'un document technique sur la biodiversité et le changement climatique, sur la base des éléments mentionnés ou contenus dans les rapports d'évaluation de l'IPBES et, à titre exceptionnel, les rapports d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en vue d'informer, entre autres, la Conférence des Parties lors de la quinzième réunion de la Convention sur la diversité biologique, et lors de la vingt-sixième session de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique.
  
*Institutionnaliser l’approche « Une seule santé » par les gouvernements nationaux pour établir la préparation aux pandémies, améliorer les programmes de prévention, enquêter et contrôler les épidémies.
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À cette fin, la Plénière de l'IPBES a demandé au Secrétaire exécutif de l'IPBES d'explorer, avec le secrétariat du GIEC, d'éventuelles activités conjointes relatives à la biodiversité et au changement climatique, incluant la possibilité de préparer conjointement le document technique mentionné ci-dessus.
*Intégrer de manière générale le coût économique des pandémies dans la consommation, la production et les politiques et budgets gouvernementaux.
 
*Générer de nouvelles obligations d'entreprise ou souveraines vertes pour mobiliser des ressources pour la préservation de la biodiversité et la réduction du risque de pandémie.
 
*Concevoir une relance économique verte à la suite de la COVID-19 comme une garantie contre de futures épidémies.
 
  
'''''Mesures de réduction du rôle du changement d’usage des sols dans l’émergence des pandémies :'''''
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À la suite de consultations informelles, l'option d'un atelier coparrainé avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est apparue comme une option possible.
  
*Développer et incorporer les études d’impact sur la santé du risque de maladie émergente et de pandémie dans les grands projets de changement d’usage des sols.
+
Le Bureau a convenu de charger le Groupe de travail II de collaborer avec le secrétariat de l'IPBES pour étudier plus avant la proposition en termes de temps et de degré scientifique. Les coprésidents du Groupe de travail II, en consultation avec d'autres Groupes de travail, ont été invités à poursuivre les préparatifs et à présenter un plan au Comité exécutif du GIEC. Le document de réflexion qui définit, entre autres, les objectifs, les résultats, l'orientation, le calendrier et les informations sur le comité scientifique directeur de l'atelier coparrainé a été présenté à la 52e session du GIEC pour information sous la cote IPCC-LII / INF.7.
  
*Réformer l’aide financière pour l’usage des sols de sorte que les bénéfices et les risques pour la biodiversité et la santé soient reconnus et explicitement ciblés.
+
Le rapport d'atelier contribuera à la définition du cadrage et alimentera l'évaluation de l'IPBES sur les interactions entre la biodiversité, l'eau, l'alimentation et la santé dans le contexte du changement climatique, ainsi que le sixième rapport d'évaluation (AR6) et les rapports de synthèse du GIEC.
  
*Évaluer l’efficacité des mesures de préservation de l’habitat incluant les zones protégées et les programmes de restauration de l’habitat peut réduire les pandémies et les compromis où il se peut que le risque d’émergence de maladie augmente. Développer des programmes basés sur ces évaluations.
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=== Objectifs ===
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Les objectifs de l'atelier, conformément au document de réflexion de cet atelier, sont les suivants :
  
*Permettre un changement transformateur pour réduire les types de consommation, l’expansion de l’agriculture mondialisée et le commerce qui ont mené aux pandémies (ex : la consommation d’huile de palme, de bois exotique, de produit requérant l’extraction depuis une mine, les infrastructures de transport, la viande et les autres produits de l’élevage intensif). Cela pourrait inclure de modifier les taxes existantes sur la consommation de viande, de produits d’élevage ou toute autre forme de consommation à haut risque pandémique.
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À la lumière de l'urgence de mettre la biodiversité au premier plan des discussions concernant les stratégies d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques terrestre et océanique, cet atelier coparrainé par le GIEC et l'IPBES aborde les synergies et les compromis entre la protection de la biodiversité et l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. Cela comprend l'exploration de l'impact du changement climatique sur la biodiversité, la capacité d’adaptation des espèces au changement climatique et les limites de cette capacité d'adaptation, la résilience des écosystèmes face au changement climatique compte tenu des seuils de changement irréversible, et la contribution des écosystèmes aux boucles de rétroaction et à l'atténuation climatique, face au contexte d'une perte de biomasse et les risques associés pour des espèces clés de voûte et la biodiversité ainsi que les services écosystémiques (contribution de la nature aux êtres humains). Le rapport de l'atelier fournira les informations pertinentes pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris, du Cadre mondial pour la biodiversité pour l'après-2020 et des Objectifs de Développement Durable.
  
'''''Mesures pour réduire l’émergence de pandémie due au commerce d’espèces sauvages'''''
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=== Objet de l'atelier ===
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L'atelier visait à donner un aperçu des relations entre la biodiversité et le changement climatique, notamment :
  
*Créer un nouveau partenariat intergouvernemental de la santé et du commerce pour réduire les risques de zoonoses dans le commerce international d’espèces sauvages, basé sur la collaboration de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), la Convention sur la diversité biologique (CDB), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (ONUAA), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et d’autres.
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'''(a)''' Les impacts et les risques de futurs changements climatiques plausibles (par exemple, à différents horizons temporels et pour différents niveaux de réchauffement tels que 1,5°C, 2°C, 3°C et 4°C par rapport à l'ère préindustrielle, compte tenu des non-linéarités et seuils associés pour les changements irréversibles du système climatique et des écosystèmes) pour la biodiversité terrestre, d'eau douce et marine, les contributions de la nature aux Hommes et à la qualité de vie ;
  
*Éduquer toutes les communautés dans les zones d’émergence des maladies infectieuses sur les risques sanitaires liés à l’usage et au commerce d’espèces sauvages connues pour présenter un risque de pandémie.
+
'''(b)''' Les rétroactions des changements plausibles de la biodiversité sur les caractéristiques et les changements climatiques ;
  
*Limiter ou interdire le commerce d’espèces identifiées par les experts comme ayant un risque élevé de faire émerger des maladies, tester l’efficacité des jours de nettoyage des marchés déjà en place, augmenter les capacités de la chaîne du froid, la biosécurité et l’assainissement des marchés. Conduire une surveillance des maladies parmi les espèces sauvages vendues et parmi les chasseurs, les agriculteurs et les revendeurs.
+
'''(c)''' En s'appuyant sur les connaissances scientifiques ainsi que sur les connaissances autochtones et locales, l'atelier s'est ensuite concentré sur les opportunités d'atteindre simultanément des objectifs liés au changement climatique et à la biodiversité, et sur les risques d'examiner ces deux questions séparément, notamment :
  
*Renforcer la collaboration entre les autorités sur tous les aspects du commerce illégal d’espèces sauvages.
+
'''(d)''' Les opportunités, les défis et les risques des choix d'atténuation et d'adaptation au changement climatique (par exemple, la bioénergie, la capture et le stockage du carbone, le boisement à grande échelle, le reboisement et la restauration des écosystèmes) pour la biodiversité, les contributions de la nature aux Hommes et à la qualité de vie ;
  
'''''Réduire les lacunes majeures de connaissances sur :'''''
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'''(e)''' L'impact de la préservation de la biodiversité et des pratiques d'utilisation durable sur les émissions de gaz à effet de serre (c'est-à-dire les rétroactions climatiques) ;
  
*Le soutien à la recherche scientifique « Une seule santé » pour mieux concevoir et tester des stratégies de prévention des pandémies.
+
'''(f)''' Une évaluation des synergies, des compromis et de l'efficacité des politiques et des structures de gouvernance qui s'attaquent simultanément au changement climatique et à la perte de biodiversité à toutes les échelles, y compris dans les zones urbaines ;
  
*L’amélioration de la compréhension de la relation entre la dégradation et la restauration de l’écosystème, la structure du paysage et le risque d’émergence de maladie.
+
'''(g)''' Les principales incertitudes scientifiques.
  
*Les analyses économiques des retours sur investissement des programmes de réduction des changements environnementaux à l’origine de pandémies.
+
=== Processus ===
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À la lumière des procédures pour les ateliers coparrainés (similaires pour le GIEC et l'IPBES), et compte tenu des retards dus à la pandémie, les mesures suivantes ont été prises :
  
*Les principaux comportements à risque - dans la consommation globale, dans les communautés rurales en première ligne de l’émergence des maladies, dans le secteur privé, au sein des gouvernements nationaux -  qui cause des pandémies.
+
* Un comité scientifique directeur (en anglais, ''scientific steering committee'', noté SSC) de douze personnes a été constitué, dont six sélectionnés par l'IPBES et six par le GIEC.
 +
* Le SSC a proposé les contours d’un bilan scientifique conjoint, composé de sept sections, a sélectionné un groupe de 50 experts, en tenant compte des équilibres entre les sexes, les nationalités et les disciplines, avec 25 membres sélectionnés par le GIEC et 25 par l'IPBES. Le SSC a réparti ces experts dans les 7 sections, chaque section ayant la moitié de ses experts de l'IPBES et la moitié du GIEC.
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* Pour relever les défis posés par la pandémie, et afin d'exploiter pleinement le nombre réduit d'heures disponibles pour un atelier virtuel par rapport à un atelier normal, les coprésidents du SSC ont supervisé un processus préparatoire, en amont de l'atelier consistant en une série de téléconférences pour commencer à discuter des résultats scientifiques attendus pour chaque section, à élaborer une liste de points et du texte pour ces points. Tous les participants sélectionnés ont participé à ce processus préparatoire.
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* L'atelier, initialement prévu pour mai 2020, organisé par le Royaume-Uni, avec le coparrainage de la Norvège, a eu lieu virtuellement du 14 au 17 décembre 2020. L'ordre du jour est reproduit ci-dessous. L'atelier a été ouvert par des représentants de ces deux pays, suivis des présidents du GIEC et de l'IPBES.
 +
* À la suite de l'atelier virtuel, les experts ont travaillé en ligne pour finaliser les textes de leurs sections respectives du bilan scientifique conjoint et ont mené une révision interne sur l’ensemble des sections.
 +
* Le rapport de l'atelier a été revu par des pairs pendant une période de trois semaines, entre le 9 et le 30 avril 2021, par un groupe de 24 relecteurs sélectionnés par le SSC, la moitié provenant de la communauté IPBES et l'autre moitié de la communauté du GIEC, et en tenant compte du sexe et des équilibres géographiques et disciplinaires. La liste des pairs relecteurs est reproduite à l'annexe 1 du présent rapport.
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* Le rapport de l'atelier a été révisé et finalisé par les experts, sous la direction du SSC, et publié.
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* Le support technique à l'atelier coparrainé a été fourni par le secrétariat de l'IPBES, en collaboration avec l'unité de support technique du Groupe de travail II du GIEC et avec le secrétariat du GIEC.
  
*La valorisation de l'engagement et de la connaissance des populations autochtones et des communautés locales dans les programmes de prévention des pandémies.
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==Résumé==
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Ce rapport d'atelier est placé dans le contexte des récents accords internationaux, notamment l'Accord de Paris, le Plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020 et la préparation en cours du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020, le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe et le programme 2030 pour le développement durable, qui convergent vers une résolution de la double crise du changement climatique et de la perte de biodiversité comme moyen essentiel pour soutenir le bien-être humain. La réalisation simultanée de ces accords repose sur des efforts immédiats et soutenus pour un changement en profondeur qui englobe les politiques technologiques et environnementales ainsi que des changements de structures économiques et des mutations profondes de la société. Les impacts du changement climatique et la perte de biodiversité sont deux des défis et des risques les plus importants pour les sociétés humaines ; dans le même temps, climat et biodiversité s’entremêlent par des liens mécaniques et des boucles de rétroaction. Le changement climatique exacerbe les risques pour la biodiversité et les habitats naturels et aménagés ; dans le même temps, les écosystèmes naturels et gérés ainsi que leur biodiversité jouent un rôle clé dans les flux de gaz à effet de serre, ainsi que dans le soutien à l'adaptation au climat. L'absorption par photosynthèse de plus de 50% des émissions anthropiques de CO₂ et le stockage de carbone résultant dans la biomasse et les matières organiques, ainsi que par la dissolution du CO₂ dans l'eau des océans, réduit déjà naturellement le changement climatique mondial (mais provoque l'acidification des océans). Cependant, les contributions de la nature à l'atténuation du changement climatique, fournies en partie par la biodiversité sous-jacente, sont compromises par la dégradation des écosystèmes résultant du changement climatique progressif et des activités humaines. En fait, la dégradation des écosystèmes par les changements d'usage des sols et les autres impacts sur les stocks et la séquestration naturels du carbone est un contributeur majeur aux émissions cumulées de CO₂ et, par conséquent, un facteur supplémentaire du changement climatique.
  
*La diversité microbienne encore inconnue dans la faune sauvage qui a le potentiel d’émerger dans le futur ou d’être utilisée pour développer des médicaments ou des vaccins.
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La mise en œuvre ambitieuse d'actions terrestres et océaniques pour protéger, gérer durablement et restaurer les écosystèmes offre des co-bénéfices pour les objectifs d'atténuation du changement climatique, d'adaptation au climat et de biodiversité et peut contribuer à contenir la hausse des températures dans les limites envisagées par l'Accord de Paris, à condition que de telles actions soutiennent, et ne remplacent pas, des réductions ambitieuses des émissions provenant des combustibles fossiles et du changement d'usage des sols. Dans ce large contexte, l'atelier a exploré diverses facettes de l'interaction entre le climat et la biodiversité, des tendances actuelles au rôle et à la mise en œuvre de solutions basées sur la nature et le développement durable de la société humaine. Un résumé des conclusions de l'atelier est présenté ci-dessous :
  
*Les analyses des principes évolutionnistes derrière les changements d’hôte lors du développement des zoonoses et l’adaptation des pathogènes émergents aux nouvelles espèces hôtes.
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Limiter le réchauffement climatique pour assurer un climat habitable et protéger la biodiversité sont des objectifs qui se renforcent mutuellement, et leur réalisation est essentielle pour fournir durablement et équitablement des avantages aux populations.
  
*Les impacts du changement climatique et les événements météorologiques extrêmes qui en découlent (e.g. inondations et sécheresses) sur l’émergence de maladies, pour anticiper les futures menaces.
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'''(1)''' L'augmentation de la consommation d'énergie, la surexploitation des ressources naturelles et la transformation sans précédent des terres, des eaux douces et des paysages marins<sup>1</sup> au cours des 150 dernières années ont accompagné les progrès technologiques et permis une amélioration du niveau de vie pour beaucoup de personnes, mais ont également entraîné des changements climatiques et l'accélération du déclin de la diversité biologique dans le monde, tous deux impactant négativement de nombreux aspects d’une bonne qualité de vie. Une société durable nécessite à la fois un climat stabilisé et des écosystèmes en bonne santé. Cependant, 77 % des terres (hors Antarctique) et 87 % de la superficie de l'océan ont été modifiées par les effets directs des activités humaines. Ces changements sont associés à la perte de 83 % de la biomasse des mammifères sauvages et de la moitié de celle des plantes. Le bétail et les humains représentent désormais près de 96 % de toute la biomasse des mammifères sur Terre, et l’on compte plus d'espèces menacées d'extinction que jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité. Le changement climatique interagit de plus en plus avec ces processus. Les rejets anthropiques de gaz à effet de serre provenant de la combustion de combustibles fossiles, de l'industrie, de l'agriculture, foresterie et autres usages des sols (AFOLU), dépassant désormais globalement les 55 GtCO₂e par an, continuent d'augmenter et ont déjà conduit à un réchauffement climatique supérieur à 1°C par rapport à la période préindustrielle<sup>2</sup>. Le changement climatique et la perte de biodiversité constituent des menaces significatives pour les moyens de subsistance humains, la sécurité alimentaire et la santé publique, et ces impacts négatifs sont ressentis de manière disproportionnée par les communautés socialement, politiquement, géographiquement et/ou économiquement marginalisées.
  
*Obtenir des données sur l’importance relative du trafic illégal, non régulé et légal et régulé d’animaux sauvages dans le risque de maladie.
+
1. Le terme « paysage » est utilisé dans ce rapport pour représenter la région et les caractéristiques structurelles des environnements terrestres, marins et d'eau douce (échappées terrestres, marines, d'eau douce), voir glossaire.
  
==Conclusion==
+
2. Équivalent en dioxyde de carbone (CO₂e) : moyen pour placer les émissions de divers agents de forçage radiatif sur une base commune en tenant compte de leur effet sur le climat. Il décrit, pour une quantité et un mélange donnés de gaz à effet de serre, la quantité de CO₂ qui aurait la même capacité de réchauffement planétaire, lorsqu'elle est mesurée sur une période de temps spécifiée. (PNUE, 2020, voir glossaire). Selon le GIEC (2019), les activités d'agriculture, foresterie et autres utilisations des terres (AFOLU) représentaient environ 13 % du CO₂, 44 % du méthane (CH4) et 81 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O) issues des activités humaines dans le monde en 2007-2016, représentant 23 % (12,0 ± 2,9 GtCO₂e par an) des émissions anthropiques nettes totales de gaz à effet de serre au cours de cette période. La réponse naturelle des terres aux changements environnementaux induits par l'homme a causé l’absorption nette d'environ 11,2 GtCO₂ par an entre 2007 et 2016 (équivalent à 29 % des émissions totales de CO₂).
Ce rapport est publié à un moment critique de l’évolution de la pandémie COVID-19, dont les impacts sociétaux et économiques à long terme sont maintenant reconnus. Dans tous les secteurs de la société, des citoyens commencent à chercher des solutions qui vont au-delà des mesures habituelles. Cela nécessitera un changement transformateur, basé sur les données scientifiques pour réévaluer la relation entre la population et la nature, et pour réduire les impacts environnementaux causés par la consommation non-durable, qui entraînent la perte de biodiversité, le changement climatique ainsi que l’émergence de pandémies. Les options politiques présentées dans ce rapport s’inscrivent dans un tel changement. Elles décrivent un changement vers la prévention des pandémies qui est transformateur : notre approche actuelle consiste à détecter les nouvelles maladies, les contenir, et développer des vaccins et des médicaments pour les contrôler. Clairement, face à la COVID-19, avec plus d’un million de morts et des impacts économiques colossaux, cette approche réactive est inadéquate.
 
  
Ce rapport intègre la nécessité d’un changement transformateur et s’appuie sur des données scientifiques pour identifier des options politiques visant à empêcher les pandémies. La plupart d'entre elles peuvent sembler coûteuses, difficiles à mettre en œuvre et leurs résultats incertains. Cependant, l’analyse économique suggère que leur coût sera négligeable en comparaison des milliers de milliards de dollars de perte dus à la COVID-19, sans compter l’apparition de prochaines maladies. Les preuves scientifiques rapportées ici et l’impact sociétal et économique de la COVID-19 fournissent une incitation forte à l’adoption de ces réglementations et à créer le changement transformateur indispensable pour empêcher de futures pandémies. Cela sera bénéfique pour la santé, la préservation de la biodiversité, nos économies et le développement durable. Par dessus tout, cela donnera une vision de notre futur dans lequel on a échappé à « l’ère des pandémies ».
+
'''(2)''' Le renforcement mutuel du changement climatique et de la perte de biodiversité signifie qu’une résolution satisfaisante d'un des deux problèmes nécessite la prise en compte de l'autre. Le changement climatique et la perte de biodiversité sont en étroite interaction et partagent des moteurs communs à travers les activités humaines. Les deux ont des impacts principalement négatifs sur le bien-être humain et la qualité de vie. Les concentrations accrues de gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraînent des températures moyennes plus élevées, des régimes de précipitations modifiés, des événements météorologiques extrêmes plus fréquents, un appauvrissement en oxygène et une acidification des milieux aquatiques, dont la plupart nuisent à la biodiversité. Réciproquement, les changements dans la biodiversité affectent le système climatique, notamment par leurs impacts sur les cycles de l'azote, du carbone et de l'eau. Ces interactions peuvent générer des rétroactions complexes entre le climat, la biodiversité et les humains qui peuvent produire des résultats plus prononcés et moins prévisibles. Ignorer la nature indissociable du climat, de la biodiversité et de la qualité de vie humaine induira des solutions non optimales pour chacune de ces crises.

Version du 7 août 2021 à 14:34


Atelier coparrainé par l'IPBES et le GIEC
Biodiversité et changement climatique
Rapport d'atelier

publié en anglais le 10 juin 2021
Traduction citoyenne non officielle

Avertissement

Le coparrainage du GIEC ne signifie pas que celui-ci certifie ou approuve ce compte-rendu et les recommandations et conclusions qu’il contient. Les documents présentés à l’Atelier/Réunion d’Experts et le compte-rendu de ces travaux n’ont pas été soumis à l’examen du GIEC.

Le coparrainage de l’IPBES ne signifie pas que celui-ci certifie ou approuve ce compte-rendu et les recommandations et conclusions qu’il contient. Les documents présentés à l’atelier et le compte-rendu de ces travaux n’ont pas été soumis à l’examen de l’IPBES.

Préface

Le changement climatique et la perte de biodiversité sont deux des problèmes les plus urgents de l'Anthropocène. Bien qu'il soit reconnu dans les cercles scientifiques et politiques que les deux sont interconnectés, dans la pratique, ils sont largement abordés dans leurs propres domaines. La communauté de recherche dédiée à l'étude du système climatique est quelque peu, mais pas complètement, distincte de celle qui étudie la biodiversité. Chaque problématique a sa propre convention internationale (la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques et la Convention sur la Diversité Biologique), et chacune a un organe intergouvernemental qui évalue les connaissances disponibles (le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) et la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES)). Cette séparation fonctionnelle crée un risque d'identifier, de comprendre et de gérer de manière incomplète les liens entre les deux. Dans le pire des cas, cela peut conduire à prendre des mesures qui empêchent malencontreusement la résolution de l'un et/ou de l'autre de ces deux problèmes. C'est dans la nature des systèmes complexes d’avoir des résultats et des effets de seuil inattendus, mais aussi que les parties individuelles ne puissent pas être gérées indépendamment les unes des autres. L'atelier conjoint IPBES-GIEC s'est attaché à explorer ces liens complexes et multiples entre le climat et la biodiversité. Cet atelier et son rapport représentent la toute première collaboration conjointe entre ces deux organes intergouvernementaux et font donc date dans leurs histoires respectives.

La communauté scientifique travaille depuis un certain temps sur les synergies et les compromis entre climat et biodiversité. Une action entreprise pour protéger la biodiversité qui contribue simultanément à l'atténuation du changement climatique ou une action augmentant la capacité des espèces ou des écosystèmes à s'adapter aux changements climatiques qui ne peuvent être évités sont des exemples de synergie. Au contraire, des compromis négatifs peuvent survenir, par exemple, si une mesure prise pour atténuer le changement climatique via l’utilisation de la terre ou de l'océan pour absorber les gaz à effet de serre entraîne une perte de biodiversité ou d'autres avantages liés à la nature procurés par les écosystèmes touchés. Ce n'est qu'en considérant le climat et la biodiversité comme des aspects d'un même problème complexe - qui comprend également les actions, les motivations et les aspirations de gens - que des solutions qui évitent la maladaptation et maximisent les résultats bénéfiques peuvent être développées. La recherche de telles solutions est importante si la société veut protéger les acquis de la croissance et accélérer l'évolution vers un monde plus durable, plus sain et plus équitable pour tous. Le rôle de la science dans la gestion de la pandémie actuelle illustre comment celle-ci peut éclairer les décisions politiques et la société pour identifier des solutions possibles.

En tant que membres du comité scientifique directeur, nous sommes fiers d'avoir contribué à cette toute première collaboration entre le GIEC et l'IPBES. Notre première tâche consistait à sélectionner parmi nos communautés respectives un ensemble varié d’experts de premier plan venant du monde entier, puis de guider leur travail. Il a été difficile de mener à bien ce processus pendant la pandémie de COVID-19, et les échéanciers ont été déplacés et revus à de nombreuses reprises. Ce qui devait être à l'origine un atelier en présentiel accueilli par le Royaume-Uni en mai 2020 avec le co-parrainage de la Norvège s’est finalement tenu en ligne en décembre 2020. Les experts se sont remarquablement bien adaptés à ces changements et ont consacré beaucoup de temps et d'efforts à ce projet pour compenser l'incapacité de se rencontrer en personne, tenant de vigoureuses et stimulantes discussions à distance, que ce soit avant et pendant l'atelier ou pour préparer le rapport et les résultats scientifiques qui en sont issus.

Comme expliqué dans l'avertissement sur la première page de ce document, il s'agit d'un rapport d'atelier et non d'un rapport d’évaluation. Il s'agit néanmoins d'un document scientifique, qui a fait l'objet d'une relecture par 24 experts externes sélectionnés par le comité scientifique directeur de l'atelier, fournissant une représentation objective, une synthèse et une explication de l'ensemble des travaux publiés. Bien qu'il s'agisse d'un rapport d'atelier et, en tant que tel, non exhaustif, le rapport résume l'état émergent des connaissances pour éclairer la prise de décision et aide à montrer la voie vers des solutions pour la société et également pour la recherche scientifique en identifiant les lacunes à combler.

Nous espérons que ce rapport d'atelier coparrainé, et les résultats scientifiques associés apporteront une contribution importante aux évaluations en cours et futures du GIEC et de l'IPBES, et seront pertinents pour les discussions tenues dans le contexte de la COP 15 de la CDB et de la COP 26 de la CCNUCC, qui se tiendront toutes les deux en principe en 2021. Connecter les sphères du climat et de la biodiversité est particulièrement crucial au moment où le monde semble se préparer à des actions plus fortes sur ces deux sujets. Des actions urgentes, opportunes et ciblées peuvent minimiser les tendances préjudiciables et contrer l'escalade des risques tout en évitant des erreurs coûteuses et contre-productives. L'humanité n'a pas de temps à perdre et nous espérons que ce rapport éclairera ces actions urgentes vers « L'avenir que nous voulons ».

Introduction

La Plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), lors de sa 7ème session tenue en avril/mai 2019, a adopté un nouveau programme de travail jusqu'en 2030 et a convenu de la préparation d'un document technique sur la biodiversité et le changement climatique, sur la base des éléments mentionnés ou contenus dans les rapports d'évaluation de l'IPBES et, à titre exceptionnel, les rapports d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en vue d'informer, entre autres, la Conférence des Parties lors de la quinzième réunion de la Convention sur la diversité biologique, et lors de la vingt-sixième session de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique.

À cette fin, la Plénière de l'IPBES a demandé au Secrétaire exécutif de l'IPBES d'explorer, avec le secrétariat du GIEC, d'éventuelles activités conjointes relatives à la biodiversité et au changement climatique, incluant la possibilité de préparer conjointement le document technique mentionné ci-dessus.

À la suite de consultations informelles, l'option d'un atelier coparrainé avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est apparue comme une option possible.

Le Bureau a convenu de charger le Groupe de travail II de collaborer avec le secrétariat de l'IPBES pour étudier plus avant la proposition en termes de temps et de degré scientifique. Les coprésidents du Groupe de travail II, en consultation avec d'autres Groupes de travail, ont été invités à poursuivre les préparatifs et à présenter un plan au Comité exécutif du GIEC. Le document de réflexion qui définit, entre autres, les objectifs, les résultats, l'orientation, le calendrier et les informations sur le comité scientifique directeur de l'atelier coparrainé a été présenté à la 52e session du GIEC pour information sous la cote IPCC-LII / INF.7.

Le rapport d'atelier contribuera à la définition du cadrage et alimentera l'évaluation de l'IPBES sur les interactions entre la biodiversité, l'eau, l'alimentation et la santé dans le contexte du changement climatique, ainsi que le sixième rapport d'évaluation (AR6) et les rapports de synthèse du GIEC.

Objectifs

Les objectifs de l'atelier, conformément au document de réflexion de cet atelier, sont les suivants :

À la lumière de l'urgence de mettre la biodiversité au premier plan des discussions concernant les stratégies d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques terrestre et océanique, cet atelier coparrainé par le GIEC et l'IPBES aborde les synergies et les compromis entre la protection de la biodiversité et l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. Cela comprend l'exploration de l'impact du changement climatique sur la biodiversité, la capacité d’adaptation des espèces au changement climatique et les limites de cette capacité d'adaptation, la résilience des écosystèmes face au changement climatique compte tenu des seuils de changement irréversible, et la contribution des écosystèmes aux boucles de rétroaction et à l'atténuation climatique, face au contexte d'une perte de biomasse et les risques associés pour des espèces clés de voûte et la biodiversité ainsi que les services écosystémiques (contribution de la nature aux êtres humains). Le rapport de l'atelier fournira les informations pertinentes pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris, du Cadre mondial pour la biodiversité pour l'après-2020 et des Objectifs de Développement Durable.

Objet de l'atelier

L'atelier visait à donner un aperçu des relations entre la biodiversité et le changement climatique, notamment :

(a) Les impacts et les risques de futurs changements climatiques plausibles (par exemple, à différents horizons temporels et pour différents niveaux de réchauffement tels que 1,5°C, 2°C, 3°C et 4°C par rapport à l'ère préindustrielle, compte tenu des non-linéarités et seuils associés pour les changements irréversibles du système climatique et des écosystèmes) pour la biodiversité terrestre, d'eau douce et marine, les contributions de la nature aux Hommes et à la qualité de vie ;

(b) Les rétroactions des changements plausibles de la biodiversité sur les caractéristiques et les changements climatiques ;

(c) En s'appuyant sur les connaissances scientifiques ainsi que sur les connaissances autochtones et locales, l'atelier s'est ensuite concentré sur les opportunités d'atteindre simultanément des objectifs liés au changement climatique et à la biodiversité, et sur les risques d'examiner ces deux questions séparément, notamment :

(d) Les opportunités, les défis et les risques des choix d'atténuation et d'adaptation au changement climatique (par exemple, la bioénergie, la capture et le stockage du carbone, le boisement à grande échelle, le reboisement et la restauration des écosystèmes) pour la biodiversité, les contributions de la nature aux Hommes et à la qualité de vie ;

(e) L'impact de la préservation de la biodiversité et des pratiques d'utilisation durable sur les émissions de gaz à effet de serre (c'est-à-dire les rétroactions climatiques) ;

(f) Une évaluation des synergies, des compromis et de l'efficacité des politiques et des structures de gouvernance qui s'attaquent simultanément au changement climatique et à la perte de biodiversité à toutes les échelles, y compris dans les zones urbaines ;

(g) Les principales incertitudes scientifiques.

Processus

À la lumière des procédures pour les ateliers coparrainés (similaires pour le GIEC et l'IPBES), et compte tenu des retards dus à la pandémie, les mesures suivantes ont été prises :

  • Un comité scientifique directeur (en anglais, scientific steering committee, noté SSC) de douze personnes a été constitué, dont six sélectionnés par l'IPBES et six par le GIEC.
  • Le SSC a proposé les contours d’un bilan scientifique conjoint, composé de sept sections, a sélectionné un groupe de 50 experts, en tenant compte des équilibres entre les sexes, les nationalités et les disciplines, avec 25 membres sélectionnés par le GIEC et 25 par l'IPBES. Le SSC a réparti ces experts dans les 7 sections, chaque section ayant la moitié de ses experts de l'IPBES et la moitié du GIEC.
  • Pour relever les défis posés par la pandémie, et afin d'exploiter pleinement le nombre réduit d'heures disponibles pour un atelier virtuel par rapport à un atelier normal, les coprésidents du SSC ont supervisé un processus préparatoire, en amont de l'atelier consistant en une série de téléconférences pour commencer à discuter des résultats scientifiques attendus pour chaque section, à élaborer une liste de points et du texte pour ces points. Tous les participants sélectionnés ont participé à ce processus préparatoire.
  • L'atelier, initialement prévu pour mai 2020, organisé par le Royaume-Uni, avec le coparrainage de la Norvège, a eu lieu virtuellement du 14 au 17 décembre 2020. L'ordre du jour est reproduit ci-dessous. L'atelier a été ouvert par des représentants de ces deux pays, suivis des présidents du GIEC et de l'IPBES.
  • À la suite de l'atelier virtuel, les experts ont travaillé en ligne pour finaliser les textes de leurs sections respectives du bilan scientifique conjoint et ont mené une révision interne sur l’ensemble des sections.
  • Le rapport de l'atelier a été revu par des pairs pendant une période de trois semaines, entre le 9 et le 30 avril 2021, par un groupe de 24 relecteurs sélectionnés par le SSC, la moitié provenant de la communauté IPBES et l'autre moitié de la communauté du GIEC, et en tenant compte du sexe et des équilibres géographiques et disciplinaires. La liste des pairs relecteurs est reproduite à l'annexe 1 du présent rapport.
  • Le rapport de l'atelier a été révisé et finalisé par les experts, sous la direction du SSC, et publié.
  • Le support technique à l'atelier coparrainé a été fourni par le secrétariat de l'IPBES, en collaboration avec l'unité de support technique du Groupe de travail II du GIEC et avec le secrétariat du GIEC.

Résumé

Ce rapport d'atelier est placé dans le contexte des récents accords internationaux, notamment l'Accord de Paris, le Plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020 et la préparation en cours du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020, le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe et le programme 2030 pour le développement durable, qui convergent vers une résolution de la double crise du changement climatique et de la perte de biodiversité comme moyen essentiel pour soutenir le bien-être humain. La réalisation simultanée de ces accords repose sur des efforts immédiats et soutenus pour un changement en profondeur qui englobe les politiques technologiques et environnementales ainsi que des changements de structures économiques et des mutations profondes de la société. Les impacts du changement climatique et la perte de biodiversité sont deux des défis et des risques les plus importants pour les sociétés humaines ; dans le même temps, climat et biodiversité s’entremêlent par des liens mécaniques et des boucles de rétroaction. Le changement climatique exacerbe les risques pour la biodiversité et les habitats naturels et aménagés ; dans le même temps, les écosystèmes naturels et gérés ainsi que leur biodiversité jouent un rôle clé dans les flux de gaz à effet de serre, ainsi que dans le soutien à l'adaptation au climat. L'absorption par photosynthèse de plus de 50% des émissions anthropiques de CO₂ et le stockage de carbone résultant dans la biomasse et les matières organiques, ainsi que par la dissolution du CO₂ dans l'eau des océans, réduit déjà naturellement le changement climatique mondial (mais provoque l'acidification des océans). Cependant, les contributions de la nature à l'atténuation du changement climatique, fournies en partie par la biodiversité sous-jacente, sont compromises par la dégradation des écosystèmes résultant du changement climatique progressif et des activités humaines. En fait, la dégradation des écosystèmes par les changements d'usage des sols et les autres impacts sur les stocks et la séquestration naturels du carbone est un contributeur majeur aux émissions cumulées de CO₂ et, par conséquent, un facteur supplémentaire du changement climatique.

La mise en œuvre ambitieuse d'actions terrestres et océaniques pour protéger, gérer durablement et restaurer les écosystèmes offre des co-bénéfices pour les objectifs d'atténuation du changement climatique, d'adaptation au climat et de biodiversité et peut contribuer à contenir la hausse des températures dans les limites envisagées par l'Accord de Paris, à condition que de telles actions soutiennent, et ne remplacent pas, des réductions ambitieuses des émissions provenant des combustibles fossiles et du changement d'usage des sols. Dans ce large contexte, l'atelier a exploré diverses facettes de l'interaction entre le climat et la biodiversité, des tendances actuelles au rôle et à la mise en œuvre de solutions basées sur la nature et le développement durable de la société humaine. Un résumé des conclusions de l'atelier est présenté ci-dessous :

Limiter le réchauffement climatique pour assurer un climat habitable et protéger la biodiversité sont des objectifs qui se renforcent mutuellement, et leur réalisation est essentielle pour fournir durablement et équitablement des avantages aux populations.

(1) L'augmentation de la consommation d'énergie, la surexploitation des ressources naturelles et la transformation sans précédent des terres, des eaux douces et des paysages marins1 au cours des 150 dernières années ont accompagné les progrès technologiques et permis une amélioration du niveau de vie pour beaucoup de personnes, mais ont également entraîné des changements climatiques et l'accélération du déclin de la diversité biologique dans le monde, tous deux impactant négativement de nombreux aspects d’une bonne qualité de vie. Une société durable nécessite à la fois un climat stabilisé et des écosystèmes en bonne santé. Cependant, 77 % des terres (hors Antarctique) et 87 % de la superficie de l'océan ont été modifiées par les effets directs des activités humaines. Ces changements sont associés à la perte de 83 % de la biomasse des mammifères sauvages et de la moitié de celle des plantes. Le bétail et les humains représentent désormais près de 96 % de toute la biomasse des mammifères sur Terre, et l’on compte plus d'espèces menacées d'extinction que jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité. Le changement climatique interagit de plus en plus avec ces processus. Les rejets anthropiques de gaz à effet de serre provenant de la combustion de combustibles fossiles, de l'industrie, de l'agriculture, foresterie et autres usages des sols (AFOLU), dépassant désormais globalement les 55 GtCO₂e par an, continuent d'augmenter et ont déjà conduit à un réchauffement climatique supérieur à 1°C par rapport à la période préindustrielle2. Le changement climatique et la perte de biodiversité constituent des menaces significatives pour les moyens de subsistance humains, la sécurité alimentaire et la santé publique, et ces impacts négatifs sont ressentis de manière disproportionnée par les communautés socialement, politiquement, géographiquement et/ou économiquement marginalisées.

1. Le terme « paysage » est utilisé dans ce rapport pour représenter la région et les caractéristiques structurelles des environnements terrestres, marins et d'eau douce (échappées terrestres, marines, d'eau douce), voir glossaire.

2. Équivalent en dioxyde de carbone (CO₂e) : moyen pour placer les émissions de divers agents de forçage radiatif sur une base commune en tenant compte de leur effet sur le climat. Il décrit, pour une quantité et un mélange donnés de gaz à effet de serre, la quantité de CO₂ qui aurait la même capacité de réchauffement planétaire, lorsqu'elle est mesurée sur une période de temps spécifiée. (PNUE, 2020, voir glossaire). Selon le GIEC (2019), les activités d'agriculture, foresterie et autres utilisations des terres (AFOLU) représentaient environ 13 % du CO₂, 44 % du méthane (CH4) et 81 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O) issues des activités humaines dans le monde en 2007-2016, représentant 23 % (12,0 ± 2,9 GtCO₂e par an) des émissions anthropiques nettes totales de gaz à effet de serre au cours de cette période. La réponse naturelle des terres aux changements environnementaux induits par l'homme a causé l’absorption nette d'environ 11,2 GtCO₂ par an entre 2007 et 2016 (équivalent à 29 % des émissions totales de CO₂).

(2) Le renforcement mutuel du changement climatique et de la perte de biodiversité signifie qu’une résolution satisfaisante d'un des deux problèmes nécessite la prise en compte de l'autre. Le changement climatique et la perte de biodiversité sont en étroite interaction et partagent des moteurs communs à travers les activités humaines. Les deux ont des impacts principalement négatifs sur le bien-être humain et la qualité de vie. Les concentrations accrues de gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraînent des températures moyennes plus élevées, des régimes de précipitations modifiés, des événements météorologiques extrêmes plus fréquents, un appauvrissement en oxygène et une acidification des milieux aquatiques, dont la plupart nuisent à la biodiversité. Réciproquement, les changements dans la biodiversité affectent le système climatique, notamment par leurs impacts sur les cycles de l'azote, du carbone et de l'eau. Ces interactions peuvent générer des rétroactions complexes entre le climat, la biodiversité et les humains qui peuvent produire des résultats plus prononcés et moins prévisibles. Ignorer la nature indissociable du climat, de la biodiversité et de la qualité de vie humaine induira des solutions non optimales pour chacune de ces crises.